Volume 10, No. 3 
July 2006

 
 
Iheanacho A. Akakuru
Iheanacho A. Akakuru
Dominic C. Chima
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Literary Translation

 
 

Réflexions sur la littérature africaine et sa traduction  

Iheanacho A. Akakuru, PhD
Department of Foreign Languages & Literatures, University of Port Harcourt, Rivers State (Nigeria)

Dominic C. Chima, PhD
Department of French, Imo State University, Owerri, Imo State (Nigeria)


Introduction.

ans son article au titre significatif, « Littéralité et littérarité : Essai sur la spécificité de la traduction littéraire », Akakuru (2005), expose une partie essentielle de la problématique de la traduction littéraire. En effet, tout traducteur-praticien sait que le texte littéraire relève d'une catégorie textuelle que l'on pourrait qualifier de « texte-comme-production » et que partant, sa traduction obligerait à prendre en compte la dynamique culturelle qui fait partie de sa construction.

le traducteur doit travailler pour préserver , « savoir et saveur » qui sont les deux pôles essentiels de la littérature.
Il est devenu traditionnel de dire que les textes littéraires africains (en langues européennes) sont déjà des traductions de langues africaines. C'est ce qui fait dire à Ferdinand Oyono, dans les pages liminaires de son roman, Une Vie de boy (1956), que ce dernier est une traduction d'un texte original en 'ewondo' (une langue du sud Cameroun) que l'auteur aurait retrouvé, caché dans un baluchon, au chevet d'un Toundi Ondoua mourant. De même, Kourouma ne dit-il pas lui-même que la langue française de son roman, Les Soleils des indépendances (1970), est fortement teintée par sa souche malinké, à laquelle il emprunte sentences, proverbes, adages, tournures fracassantes et injures?

Ce livre s'adresse à l'Africain. Je l'ai pensé en malinké et écrit en français en prenant une liberté que j'estime naturelle avec la langue classique (...) Qu'avais-je donc fait? Simplement donner libre cours à mon tempérament en distordant une langue classique trop rigide pour que ma pensée s'y meuve. J'ai donc traduit le malinké en français pour trouver et restituer le rythme africain. (1)

Kourouma, en faisant cet aveu, n'a rien exagéré. Car, d'un écrivain à l'autre, tant au niveau épistémologique que rhétorique, la vision du monde africaine domine l'institution littéraire et détermine l'écriture. Ainsi, chez un Achebe, un Munonye, un Tutuola, un Elechi Amadi, un Diabaté, le terroir africain pèse de tout son poids ce qui entraîne des difficultés pour tout traducteur de ces textes parce que les données de la culture africaine ne sont pas transposables telles quelles dans les langues et cultures européennes. Chercher à traduire Ahmadou Kourouma, en anglais par exemple, n'est-ce pas superposer de nouvelles difficultés liées aux différences entre l'anglais et le français à la dialectique malinké/français de l'original ?

C'est dire que des difficultés existent bel et bien, et cela d'autant plus que les premières traductions sont faites par des Européens dont la compétence culturelle est fort douteuse ; ce qui justifie cette communication dont l'objectif est de passer en revue les réflexions des uns et des autres sur les entraves à la traduction des œuvres de la littérature africaine et proposer des moyens de les supprimer.


Nature du texte littéraire

Les textes littéraires présentent des traits caractéristiques distincts en fonction du leur statut générique, de leur temps de production et de leur destination. Dans son ouvrage, Analyse du discours comme méthode de traduction, DELISLE (1980), nous propose des paramètres qui, selon lui, peuvent servir à définir le texte artistique ou littéraire. Parmi ces traits, citons la subjectivité de la perception de la réalité chez l'auteur, le pouvoir d'évocation du texte littéraire et le non-dit du texte (tout n'est pas explicitement formulé), la valorisation de la forme (la valeur esthétique de la forme est de mise), la polysémie du texte (son aspect multi-dimensionnel), l'intemporalité de l'œuvre qui résiste à l'usure du temps parce qu'elle renferme des valeurs universelles.

Ces traits du texte littéraire, annoncés par Delisle, qui ont fait l'objet de plusieurs commentaires, reproductions et modifications — notamment, celles de Jacques Flamand (1984), dans Écrire et traduire, de Georges Mounin (1976), d'Ekundayo Simpson (1981) — nous ramènent à la problématique de la traduction littéraire.

Comment doit-on traduire un texte littéraire ? Cette question est stratégique et l'on sait que si la communication expressive réclame de l'écrivain toute une gamme de compétences, elle en réclame davantage au traducteur. Il lui faudra non seulement prendre en compte la partie purement linguistique de tout texte littéraire, mais aussi reconnaître ce que l'œuvre tire de sa culture d'origine, et les contraintes qu'un texte subit du fait du choix du genre par l'auteur.

Parlant de la poésie et de sa traduction, Georges Mounin (1976) affirme, dans Linguistique et traduction, que :

...la fidélité dans la traduction poétique (...) ce n'est ni la fidélité mécanique à tous les problèmes de sémantique, ni la fidélité grammaticale automatique, ni la fidélité phraséologique cent pour cent, ni la fidélité scientifique à la phonétique du texte, c'est la fidélité à la poésie (du) texte.(2)

Or, pour saisir cette complexe réalité qu'est la poésie et que Mounin nous dévoile avec tant de talent et de lucidité, le traducteur doit procéder par petits pas ; il lui faudra d'abord « analyser » (par « abduction » ou « déduction ») les éléments constitutifs du poème, puis donner la priorité aux dominantes du poème : la versification (métrique, rythme, cadence), les effets phoniques, le découpage strophique, la diction, les figures, le symbolisme, l'atmosphère générale, la vison du monde, etc., sous le couvert d'une licence poétique qui autorise le poète à recréer, voire à réinventer, le langage.

Comme le poème, le texte théâtral et le roman exigent du traducteur une attention toute particulière. Le texte théâtral n'a pas fait l'objet autant d'études typologiques que la poésie et le roman. Cela tient, peut-être, à la nature hybride de ce genre. Autrefois, on ne faisait pas trop de cas l'écriture théâtrale puisqu'elle se confondait volontiers avec l'écriture poétique, même si elle s'en démarquait par son moule éminemment dramatique : forme dialogique évidente, écriture d'action, décor et costumes, gestes, contigüité physique entre les acteurs et les spectateurs, scènes visibles, découpage en actes et en scènes, intervention de l'auteur et indications scéniques (levée et tombée du rideau, jeux de lumière, musique, danse et autres effets spéciaux). C'est dire qu'il y a d'un côté le texte théâtral sur support papier, de l'autre la performance sur scène, devant les spectateurs.

Ainsi la dialectique texte dramatique-performance constitue-elle une véritable ornière pour le traducteur. Car, s'il est vrai que le texte dramatique a une certaine stabilité (on peut à la limite lui trouver un noyau sémantique unique ou ce que Popovic nomme « noyau invariable » non soumis aux contingences de la lecture), la performance se produit chaque fois qu'un metteur-en-scène médiatise le texte sur papier pour le porter sur scène grâce aux acteurs-interprètes. Ce qui veut dire que la lecture qui aboutit à la « déverbalisation » du texte dramatique n'est rien d'autre que la saisie mentale d'une performance parmi d'autres (la capacité de projeter une interprétation, un « vouloir-dire » du texte parmi d'autres). EC'est peut-être ce fait qui pousse Ekundayo Simpson (1981) à affirmer  : « In the translation of drama (...) performance takes precedence over the written text ».(3)

Cela veut dire qu'il faudra, au stade lecture/analyse, cerner et bien définir les traits caractéristiques du texte original sur le triple plan de l'écriture, de l'action et du décor. L'écriture, c'est la langue  : le niveau de langue, l'apport du milieu, la dynamique linguistique et discursive entre les personnages, etc. ; l'action implique non seulement les gestes, cris et déplacements, mais aussi les indications scéniques qui instituent ces actions et les orientent pour le lecteur ou l'espectateur. Quant au décor (et cela selon l'intention de la traduction : reproduction ou adaptation), il se conjuguera en fonction de l'original subordonné à la langue et à la culture d'arrivée, voire au mode d'intelligibilité de cette dernière.

De son côté, la prose littéraire se rapproche du texte dramatique, mais elle s'en démarque aussi sur plusieurs plans. Par prose littéraire, on entend souvent l'ensemble du genre romanesque : romans, contes, nouvelles, etc. Dans le cadre de l'institution littéraire, le roman et ses variantes occupent une place des plus importantes. Par rapport à la poésie et au théâtre, la traduction du roman et de ses variantes jouissent d'une supériorité quantitative incontestable. Ce qui montre jusqu'où le traducteur est sollicité par ce genre. Comme pour la poésie, bien qu'à un degré moindre, le message du roman ne se présente pas toujours de manière directe ou à l'état brut. Saisir le message, condition préalable à toute traduction, c'est pouvoir briser l'enveloppe (voire l'échafaudage formel) pour enfin retrouver l'essence. On est dans le domaine du message et du style, où les deux rivalisent et se renforcent mutuellement  : instruire et plaire semble être le mot d'ordre. Et comme le dit Akakuru (2005) :

« Il est évident que la traduction ne peut être indifférente à la nature du texte à ré-exprimer. C'est pourquoi traduire un texte littéraire est un défi lancé au traducteur. Car, c'est ici que le signe linguistique perd sa stabilité comme sa rigidité systémiques. Le signe, selon les caprices de l'auteur ne cesserait de se réinventer, de se redéfinir en contexte de communication. »(4)

Ainsi, pour les textes littéraires - tous genres confondus — le traducteur est tenu non seulement d'avoir une compétence linguistique mais aussi une compétence communicative et stylistique. Or, l'esthétique du texte littéraire africain se complique par des recours aux idiolectes et idiomes inspirés par l'ethnie, aux translittérations, aux calques de tous ordres, aux archaïsmes, relevant de l'histoire particulière de l'auteur.

C'est cette complexe alchimie à peine voilée de la langue africaine, d'une vision du monde aux secrets non-livrés et d'une langue européenne éloignée des réalités du terroir, qui appelle des connaissances transculturelles qui, seules, permettent une compréhension du texte de départ. Reformuler, dans de telles conditions, c'est d'abord cerner la dynamique culturelle africaine du départ, voire saisir ses modes privilégiés de perception et d'expression, pour les transposer en une seconde dynamique équivalente. C'est justement cette compétence culturelle, qui permet d'interpréter les réalités africaines, qui fait défaut à plus d'un traducteur et surtout aux traducteurs occidentaux des textes littéraires africains.

À la lumière de ces idées exprimées sur la spécificité de la littérature africaine et des problèmes relatifs à sa traduction, essayons de voir de plus près les traductions des œuvres littéraires africaines jusqu'ici entreprises et les avis des théoriciens et praticiens quant à leur adéquation. Cela nous amènera à commenter les points de vue des uns et des autres et, par là, permettre au lecteur de bien cerner les problèmes de traduction qui se posent pour chaque texte selon qu'il est poème, pièce de théâtre ou roman, et mieux résoudre la vraie problématique posée par de la traduction des textes littéraires africains.


Une critique de la litt
érature africaine traduite.

La diversité générique des textes littéraires et l'emploi particulier qui est fait de la langue dans ces textes posent, à eux seuls, beaucoup de problèmes aux esprits prosaïques. Au niveau intralinguistique déjà (qu'il s'agisse des textes littéraires africains en anglais ou en français), on a remarqué une première traduction. En effet, tout le monde s'accorde à déclarer que ces textes littéraires africains en langues européennes sont imprégnés des langues et cultures autochtones de leurs auteurs. Tantôt il s'agit, comme chez un Oyono, un Kourouma, un Achebe, un Tutuola, etc., de l'intrusion des langues locales et des leurs contes dans l'intratexte, tantôt, ce sont des proverbes, des dictons africains à peine voilés, qui sont translittérés comme chez un Bebey, un Diabaté, un Achebe, un Elechi-Amadi, etc. quitte à surcharger l'œuvre de glossaires ou d'explications en bas de page.

C'est dire qu'au premier niveau des problèmes posés au traducteur par la littérarité (5) du texte littéraire s'ajoute un deuxième qui tient au mode d'intelligibilité des langues et cultures africaines. Paul F. BANDIA ne manquera pas de le réitérer lorsqu'il nous informe que :

... translating African creative works is a double "transposition" process: primary level of translation', i.e. the expression of African thought in a European language by an African writer; secondary level of translation, i.e. the "transfer" of African thought from one European language to another by the translator. (6)

Même si l'on peut formuler des réserves quant à la validité des termes « transfert » et « langage », (on sait depuis longtemps que la traduction n'est ni une affaire de langue à langue, ni de transfert), les propos de Bandia recoupent ceux des écrivains et artistes africains qui décrivent comme un « accouchement » l'expression des idées nées des langues africaines qu'ils sont obligés de ré-exprimer en langues européennes. Il suffit de réentendre Léon Laleau qui, dans un poème au titre significatif, « Trahison », se lamente d'avoir le malheur d'apprivoiser avec les mots de France, « un cœur qui lui est venu du Sénégal ». Cette complexe alchimie verbale, qui souvent fait entorse à langue du « Maître » en conférant un certain exotisme aux textes des Africains vus par les étrangers, constitue un vrai calvaire sinon un piège. Or, ce sont ces textes, en langues européennes certes, mais des langues européennes fortement africanisées, que les traducteurs ont eu à affronter.

Jusqu' à une date récente, la majorité des œuvres littéraires africaines ont été traduites par des Européens. Ces derniers étaient des anthropologues, des linguistes ou des enseignants. S'ils possédaient une compétence communicative dans les langues européennes qui leur confère le statut de traducteur, les traductions qui portent leurs signatures contiennent des anomalies qui prouvent bien qu'ils n'ont ni maîtrisé la vision du monde africaine ni ses modes d'intelligibilité culturelle. Dans les lignes qui suivent, nous allons passer en revue ce que les critiques pensent de ces traductions.

Notre premier exemple s'inspire d'un essai de Femi Ojo-Ade (1989) intitulé « African Literary Translator : Messenger or Murderer? » qui porte sur la traduction en anglais (par John Reed) d'Une Vie de Boy de Ferdinand Oyono que le traducteur re-baptise « Houseboy ». Selon Ojo-Ade :

Up to date, too many murderers of African mind persist, just as there were, and are, many that mangled and continue to mangle Mother Africa...Master old and new pat themselves on the back (or do we say arse?) for disseminating major texts like Oyono's through messengers that are murderers of the message of their masters...Truncated translations should, like murderers, be tried and thrown into the gallows of the trash can. (7)

En effet, Ojo-Ade révèle les insuffisances dans le travail de Reed. Une comparaison du texte LD avec le texte LA révèle que la traduction de Reed n'est ni sémantiquement ni dynamiquement l'équivalent du texte de départ. Voici quelques exemples de ces imperfections :

 

Texte en langue de départ (TLD)

Texte en langue d'arrivée (TLA)

Quand tu as baisé, as-tu eu honte

devant Dieu? (Une Vie de boy, p.27)

When you were kissing, weren't you ashamed before God? (Houseboy, p.19)

N/B : "baisé" n'a rien à voir avec "kissing" et ce choix non motivé déforme le TLD.

La nef de l'église, divisée en

deux, est uniquement réservée aux noires (Une Vie de boy, p.54)

The nave of the church is completely reserved for Africans. (Houseboy, p.40)

N/B : "divisée en deux" n'est pas traduite.

 

 

Qu'est-ce que c'est? (Une Vie de boy, p.59)

Who is it? (Houseboy, p.44)

N/B : "Que" en français ne se traduit pas par "Who" en anglais.

Il fit semblant de s'asseoir. (Une Vie de boy, p.79)

He was about to sit down. (Houseboy, p.60)

N/B : "faire semblant" signifie, en anglais "feign", "pretend", etc. et jamais "was about".

Il parla ensuite. (Une Vie de boy, p.82)

Then they spoke. (Houseboy, p.62)

N/B: "il" singulier ne peut en aucun cas se transformer en "they".

Soyons sérieux. (Une Vie de boy, p.87)

You must be serious. (Houseboy, p.65)

N/B : On ne peut confondre l'impératif mitigé ou de politesse avec l'impératif fort "must be".

Ces femmes blanches qui se laissent manger la bouche. (Une Vie de boy, p.123)

The White women who let themselves be kissed (Houseboy, p.93)

N/B : "qui se laissent manger la bouche" est une représentation graphique (picturale) de ce que voit Toundi, alors que le terme désincarné et trop intellectuel "kissing" n'est pas descriptif. Ce qui laisse de côté l'humour du TLA.

Ces fautes injustifiées, sont dues parfois à un manque d'attention aux détails, ou même à une maitrise insuffisante des deux langues, à une maitrise douteuse des cultures qui irriguent le texte original et que le traducteur est censé reformuler dans son TLA. C'est de ce dernier cas qu'il est question dans une étude intitulée « Traduction et Stylistique : Une analyse de la traduction d'Arrow of God de Chinua Achebe » (9), menée par I.A. Akakuru et N. Mkpa (1997).

Dans cette étude les deux chercheurs soulèvent avec force le problème des traductions approximatives. Voyons des échantillons de ces erreurs de traduction proposées par Akakuru et Mkpa et tirées de la traduction d'Arrow of God par O. Simpson et al :

Texte en langue de départ (TLD)

Texte en langue d'arrivée (TLA)

-I did not ask you, anthill nose

-Je ne t'ai rien demandé, toi dont le nez long comme une fourmilière.

N/B : Le texte TLD met l'accent sur la grosseur et non sur la longueur comme il est le cas dans la traduction. De plus dans l'original on a affaire à une métaphore et non à une comparaison simple (explicite).

-You will soon cry, long throat

-Tu vas pleurer, cou démesuré.

N/B : L'original veut dire "gourmand" contrairement à la traduction qui détruit la métaphore pour privilégier "le cou" non intenté par TLD.

 

Ce sont ces mêmes problèmes qui trahissent l'incompétence culturelle qu'Amechi Ihenacho soulève dans la traduction de Things Fall Apart, un roman de Chinua Achebe :

In Things Fall Apart (p.86) where Achebe talks of 'bitter leaf soup', the French version "Le monde s'effondre" (p.117) talks of "soupe de viande et de poisson". The French translation is no doubt unable to understand what the igbo call "ofe olugbu" and translate into English as "bitter leaf soup". (8)

Quelques années plus tard, ce sera le tour de Victor Aire de passer au crible les fautes de traduction d'un autre roman de Chinua Achebe. Il s'agit, cette fois, de A Man of the people traduit de l'anglais en français par A. Diop.

En effet, Aire relève des exemples qui montrent que le traducteur n'est pas à l'aise avec le « pidgin English Nigerian » version anglaise du français « petit nègre » (10) :

 

Texte en langue de départ (TLD)

"A Man of the People"

Texte en langue d'arrivée (TLA)

"Le Démagogue"

-Big man, big palaver (p.16)

-Le grand homme parle bien (p.27)

N/B : Le mot "palaver" signifie tout simplement en anglais créolisé : soucis, fardeau, etc.

"Le grand homme a toujours plus de problèmes". Le mot n'implique en rien un quelconque don 'oratoire'.

-Make you take am je-je-O (p.64)

-Prends-la et profite d'elle au maximum (p.89)

N/B : L'énoncé veut dire simplement : 'Doucement, ne te presse pas trop/allez doucement'. Ce qui montre que la traduction est inexacte.

-If you insult me again I will show you pepper (p.81)

-Si vous m'insultez de nouveau, je vous ferai avaler du piment (p.110)

N/B : En pidgin, "show pepper" équivaut à : "apprendre à vivre à quelqu'un".

cf. : Si vous m'insultez de nouveau, je vous apprendrai à vivre.

Ces problèmes se posent avec une telle acuité que ne pas les soulever risque de déformer les textes des auteurs traduits.

Les critiques ou articles que nous avons cités ne sont pas les seuls à discuter de ce problème de l'inadéquation de la traduction des textes littéraires africains. Nous citons à ce titre, les travaux de Raymond Queneau (1953), Peter Igbonekwu (1984), Romanus Egudu (1984), S.O. ADE-OJO (1985), Jide Timothy-Asobele (1988) et Eliane Saint-André Utudjian (1993) sur les pièces de Soyinka.

Tundonu Amosu (1988) analyse la traduction en français de trois pièces de théâtre de Wole Soyinka, par Elisabeth Janvier. Dans cette étude qui porte sur The Swamp Dwellers (Les gens du marais), The Strong Breed (Un sang fort) et The Trials of Brother Jero (Les tribulations de frère Jero), il arrive à la conclusion suivante :

...the translations (...) sometimes fall short of the spirit of Soyinka's plays. Certain passages betray a lack of understanding of the dramatist's "translations". Janvier does not really come to terms with the limits of the form of address which she assimilates with the French one...

Janvier's translation (of The Swamp Dwellers) has not placed the scene (between Kadiye and Igwezu) in the correct sociological context... Some parts of the Strong Breed reveal a confusion of register. This is an indication of her lack of familiarity with the levels of language in Soyinka's plays. In 'The Trials of Brother Jero', Janvier battles rather ineffectively with the problems of retaining the original wit of the play. (11)

Et, parlant, elle aussi, de la traduction des œuvres théâtrales de Wole Soyinka, Eliane Saint-André Utudjian — universitaire et traductrice — affirmera :

Les pièces du dramaturge nigérian doivent précisément leur difficulté, leur hermétisme, mais aussi leur beauté et leur richesse à l'impact de cette culture-source anglo-nigériane où se côtoient, s'opposent et se fondent, inextricablement, des données linguistiques, sociologiques, ethniques, religieuses et humaines d'origines diverses. Tel est le défi auquel sont confrontés aussi bien l'écrivain Wole Soyinka dans son théâtre que le traducteur de ses œuvres. (12)

Cette remarque d'Utudjian fait suite aux difficultés qu'elle aurait rencontrées au cours de sa traduction de trois œuvres de Soyinka : Kongi's Harvest" (La Récolte de Kongi), The Bacchae of Euripides (Les Bacchantes d'Euripide) et Cam Wood on Masks (Du rouge de cam sur les feuilles) en collaboration avec Claire Pergnier.


Conclusion

Il serait erroné de croire que seuls les traducteurs européens des textes littéraires africains ont violenté les œuvres originales des écrivains africains. Une récente étude intitulée, Une Évaluation Critique de la traduction anglaise d'Une si longue lettre,de Mariama Bâ, menée par Kemi Itunu Akintayo (sous la direction du Prof. Victor AIRE) (2004) fait état de traductions littérales inacceptables, de mauvaises traductions, de modifications sémantiques injustifiées, de traductions approximatives, voire contradictoires, etc.

Le problème qui se pose à tout traducteur d'un texte littéraire tient — à l'exception du côté purement linguistique que certains nomment « les servitudes de la langue » et que nous partageons tous — à la dépendance par rapport au contexte du discours littéraire. Ce qui veut dire que la langue dans un texte littéraire donné n'est pas la même que partout ailleurs. Cette langue, au delà des contraintes génériques que l'institution littéraire nous impose, se voit régionalisée et « ethnicisée », sous les pressions toujours croissantes des réalités historiques, politiques et culturelles. Il ne suffit plus, pour le traducteur, d'avoir une compétence littéraire en français pour lire et comprendre un texte littéraire africain en français ; le traducteur est dans l'obligation de connaître davantage la culture et les pratiques quotidiennes africaines dont la littérature est l'expression.

Or, ce que l'on remarque chez les traducteurs des œuvres qui ont été stigmatisées par les critiques, ce n'est pas une faiblesse évidente dans telle ou telle langue européenne, c'est plutôt cette absence de compétence poétique et culturelle qui explique l'incapacité de distinguer deux niveaux essentiels de la construction littéraire, la littéralité et la littérarité. C'est à ce défaut qu'il faut veiller et, dans les traductions des œuvres littéraires africaines, le traducteur doit travailler pour préserver , « savoir et saveur » qui sont, à notre avis, les deux pôles essentiels de la littérature.

 

Notes et Références

  1. Afrique littéraire er Artistique, numéro 10 (1970). Cité par Martin Bestman (1980). Le Jeu des masques : Essai sur le roman africain. Montréal : Nouvelles optique, p.8.
  2. Georges, Mounin (1976) Linguistique et Traduction. Bruxelles: Dessart et Mardaga, p.148.
  3. Ekundayo, Simpson (1981) Evaluating a Translation: Objective Criteria in Ayo Banjo et al. (eds.), West African Studies in Modern Language Teaching and Research. Lagos (Nigeria).
  4. I.A. Akakuru (2005) "Littéralité et Littérarité. NFLV (A paraître).
  5. Les données esthétiques d'un texte littéraire se manifestent à travers des formes évidentes : figures, idiotismes, etc. propres à une culture et exploitées par l'auteur du texte à traduire.
  6. Paul, F. Bandia (1993) Translation as Culture-Transfer: Evidence from African creative writing in TTR. Paris: Vol. vi, no. 2, p.55.
  7. Femi Ojo-Ade (1989) The African literary Translator: Messenger or Murderer? Essai sur la traduction de la littérature africaine dans On Black Culture. Ife (Nigeria): Obafemi Awolowo University Press, p. 163.
  8. I.A. Akakuru & Nwanne Mkpa (1997) Traduction et Stylistique : Une analyse de la traduction d'Arrow of God de Chinua Achebe dans META, vol. XLII, no. 4, décembre, pp. 641 — 648.
  9. Amechi, Ihenacho (1981) Translation in Literature and Literature in Translation: Aspects of the African Writers'situation dans La Mission du traducteur Aujourd'hui et demain, Actes du Colloque mondial des Traducteurs, Varsovie 1981, p.316.
  10. Victor, Aire (1996) An Evaluation of the French versions of 'Things Fall Apart' and 'A Man of the People', in Eagle on Iroko (Selected papers from the Chinua Achebe International Symposium, 1990), où il critique,lui aussi, les imperfections dans les versions françaises par rapport aux originaux.
  11. Tundonu, Amosu (1988) Sociology and the Translator: Soyinka in Translation,in Babel, vol. 34, no.3, p.142.
  12. Eliane Saint-André Utudjian (1993) Processus d'acculturation et problèmes de traduction: le théâtre de Wole Soyinka, in TTR, Paris: vol. vi, no.2, p.99.