Volume 5, No. 4 
October 2001


Rosetta Stone
The Rosetta Stone

 
 



 


 

 

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Fidélité en traduction ou l'éternel souci des traducteurs

Nassima El Medjira

 



Introduction

objectif de tout traducteur est de réaliser une traduction fidèle. Depuis que l'homme traduit, il n'a cessé d'émettre des réflexions sur la manière de traduire fidèlement. Cependant, qu'est ce que la fidélité en traduction ?

Commençons, d'abord, par voir comment les dictionnaires définissent-ils le mot « fidélité ».

Dictionnaire Hachette de la langue française :

« 1. Qualité d'une personne fidèle

« 2. Attachement constant (à qqn, à qqch)

« 3. Respect de la vérité. »

Dans les deux dernières définitions, on trouve les termes « attachement et respect ». C'est, en effet, en cela que consiste le travail du traducteur : s'attacher au texte de départ tout en respectant la destination de sa traduction.

Dans quel contexte les traducteurs abordent-ils la notion de fidélité ? Ils le font lorsqu'ils tentent d'expliquer leur conception de la traduction et leur(s) méthode(s) de traduire.

C'est en réfléchissant sur l'opération traduisante que les traducteurs, de tous temps, sont arrivés à exprimer des théories, et parfois des fragments de théories, de la traduction, et à chaque reprise, la querelle entre la traduction libre et la traduction littérale remet en question la fidélité en traduction.



La Fidélité en traduction à travers l'histoire.

La première réflexion sur ce que doit être une traduction fidèle nous vient de la version des Septante qui a été commentée par Philon le Juif (un rabbin juif). Il avait qualifié cette traduction de fidèle car il préconisait le mot-à-mot pour la traduction des textes religieux.

les traductions, comme les femmes, pour être parfaites, doivent être à la fois fidèles et belles.
A l'époque romaine, ère de la création de la culture romaine à partir de la culture grecque grâce à la traduction, le grand orateur Cicéron, depuis plus de deux milles ans, mettait en garde à ne pas traduire verbum pro verbo. Il rejetait le mot-à-mot et préconisait de rendre les idées (sens) plutôt que les mots : « ... les idées restent les mêmes...je n'ai pas jugé nécessaire de rendre mot pour mot....  » 1. C'est ce qu'il avait confirmé en déclarant : « ... il ne sera pas toujours nécessaire de calquer votre langage sur le Grec (ou toute autre langue) comme le ferait un interprète (ou traducteur) maladroit [...] Quand je traduis les Grecs, si je ne puis rendre avec la même brièveté ce qui ne demande aux Grecs qu'une seule expression, je l'exprime en plusieurs mots  ».

Cicéron avait clairement tranché : il prônait le respect du sens au détriment des mots.

Quant à St Jérôme, le père des traducteurs,  il avait clairement défini son principe de traduction qui confirme la primauté de l'esprit sur la lettre : Non verbum e verbo sed sensum exprimere de sensu (c'est le sens qu'il faut rendre et tout le sens et non les mots). St Jérôme déconseillait la traduction mot-à-mot sauf pour traduire les Saintes Ecritures ; Homme d'Eglise, St Jérôme ne prétendait pas rivaliser avec la parole de Dieu. De là, il avait distingué deux types de traduction :

traduction sens par sens (libre) et traduction des Saintes Ecritures (littérale).

Au Moyen Age, et à la suite de la chute de l'empire Romain, les traducteurs continuaient de « théoriser  » sur la traduction : Boèce, traducteur du Grec au Latin, avait expliqué que : « pour que la traduction ne soit pas une corruption de la réalité, il faut traduire mot-à-mot ». C'est à dire, qu'il fallait recourir au mot-à-mot. Aussi, avait-il déclaré : « la propriété d'une bonne traduction n'est pas l'élégance, mais le degré dans lequel elle maintient la simplicité du contenu et les propriétés exactes des mots » .

C'était en cette période que le littéralisme s'accentuait, spécialement avec Boèce. Cependant, des hésitations à propos du littéralisme étaient nées. L'on peut citer l'exemple d'Anastase qui avait adressé une lettre au Pape Jean 8 où il abordait le littéralisme qui, selon lui : « porte atteinte à la langue d'arrivée et déconcerte le lecteur ». En outre, les hommes de religion pensaient que le littéralisme était à l'origine de la mauvaise traduction des textes sacrés ; c'est de là que St Thomas avait accusé les traducteurs littéralistes d'être à l'origine du schisme et d'entretenir des obscurités dans leurs traductions qui étaient opaques et inintelligibles, car ils essayaient de calquer des mots sous prétexte d'une fidélité illusoire.

En Orient, à l'époque Abasside, la traduction a connu un grand essor grâce au Calife Ma'amun, fils de Hârûn Rashid. Parmi les traducteurs les plus distingués de l'époque abasside, Hunayn Ibn Ishaq, dont la qualité de la traduction était, dit-on, incontestable. Il avait, avec la collaboration de ses disciples, élaboré une méthode de traduire qu'on pourrait résumer dans les points suivants :

  • rendre le sens sans le trahir;
  • prendre en considération le destinataire tout en sauvegardant l'essentiel du sens. Il fallait que la traduction soit lisible d'une manière très naturelle pour ne pas sentir la traduction.

Au 14ème siècle, Léonardo BRUNI avait contesté la traduction littérale et disait que « le respect de la grammaire et la linguistique n'aboutissent pas toujours au sens ».

Revenons en Occident. Etienne DOLET, le traducteur martyr de la Renaissance, définit ses fameux cinq principes de la traduction. Il avait déclaré que « il faut que le traducteur entende parfaitement le sens et la matière de l'auteur qu'il traduit. Sans cela il ne peut traduire sûrement et fidèlement ». Cette conception lui avait valu sa vie.

Joachim Du Bellay, traducteur du 16ème siècle, était le premier à parler du caractère ingrat de la traduction. Il pensait que la traduction n'était bonne que pour transmettre le sens sinon elle ne pourrait que rester secondaire par rapport au texte original. Il avait rejeté l'attachement au style surtout pour traduire la poésie. De là il avait prêché l'intraduisibilité de la poésie sauf si le traducteur a une inspiration égale à celle de l'auteur.

L'autre grand traducteur du 16ème siècle, Jacques Amyot, avait innové en matière de traduction. Il avait créé la notion d'adaptation en traduction. En effet en traduisant les œuvres antiques, il les avait adaptées aux goûts et mœurs du 16ème siècle. Il disait : « il ne suffit pas de traduire l'auteur, mais il faut s'ingénier à apporter une touche de créativité ». Il est à noter que cette méthode d'adaptation avait été vivement contestée.

L'âge classique (de la fin du 16ème siècle au début du 18ème siècle) fut l'âge d'or de la traduction des poèmes antiques grecs et latins. Dans toute l'Europe, les poètes se mirent à traduire. La pratique de la traduction libre, i.e. les « Belles Infidèles » de Nicolas Perrot d'Ablancourt et de ses émules, a contribué à former le goût classique. Avec la création de l'Académie Française en 1640, les traducteurs devenaient soucieux d'enrichir leurs langues des beautés de l'Antiquité et considéraient que le concept de Cicéron et Saint Jérôme de (livrer au lecteur non la même quantité mais le même poids) justifiait les additions et les suppressions opérées sur le texte original dans un but de cohérence, de beauté et de style.

A la fin du 18ème siècle, les poètes traduisant les antiques faisaient parler les héros la langue de leur époque (le 18ème siècle) (fidélité à la langue et culture d'arrivée).

Les traducteurs et traductologues contemporains ont, bien évidemment, abordé la notion de fidélité en traduction. A l'instar de leurs prédécesseurs, il distinguait deux façons d'être fidèle :

  • en traduisant mot à mot
  • en rendant le sens

Dans son ouvrage « Les Belles Infidèles », G.Mounin présente une série de condamnations de la traduction mot à mot qui régna jusqu'à ce qu'elle fut détrônée par « Les Belles Infidèles », elles-mêmes éliminées par le retour à la littéralité qui, selon les traducteurs du début du 19ème siècle, représentait la fidélité.

Leconte de Lisle créa un genre de littéralité qu'il appela « traduction-reconstitution historique ». Il s'agit de traduire en conservant les façons de penser, de parler, de vivre ...des auteurs de textes originaux.

G..Mounin a distingué deux façons de traduire (d'être fidèle)

  • Les verres transparents : sont les traductions qui ne sentent pas la traduction. Le traducteur adoptant cette méthode se doit d'effacer l'originalité de la langue étrangère (fidélité à la langue d'arriver)
     
  • Les verres colorés : sont les traductions mot à mot. Tout en comprenant la langue, le lecteur « sent » les différences temporelles, civilisationnelles et culturelles que la traduction véhicule (fidélité à la langue de départ).

Sur cette même lignée Ortega Y Gasset propose au traducteur d'aller soit vers la langue de départ soit vers la langue d'arrivée. Il préconise, cependant, de privilégier la langue de l'auteur avec tout ce qu'elle véhicule.

Pour l'allemand Walter Benjamin, la traduction n'est pas une copie de l'original. « La vraie traduction est transparente, elle ne cache pas l'original ». Il propose une réconciliation entre fidélité (=littéralité) et liberté.

Valéry Larbaud parle de « balance du traducteur » car le traducteur est un « peseur de mots » .Il s'est cependant, interrogé sur cette fidélité qui n'est ni servilité ni liberté.

Les nombreux points communs existants entre les traductions et certaines disciplines ont donné naissance à des concepts traductologiques divers : linguistiques, sociologiques, sémiotiques, interprétatifs. Chacun de ces concepts présente une vision de la façon de traduire et d'être fidèle.

Les adeptes de la théorie linguistique de la traduction (J.C.Catford) pensent que bien traduire c'est remplacer des unités lexicales d'une langue de départ par des unités lexicales d'une langue d'arrivée. J.C.Catford a écrit que la traduction est « The replacement of any textual material by equivalent textual material) (J.C 1967).

Pour Gerardo Vásquez Ayora, il n'y a pas de traduction libre car toute traduction doit être exacte. Tout élargissement, adaptation, commentaire ou paraphrase ne sont pas de la traduction. Parlant de la littéralité, Ayora a expliqué qu'on ne traduit pas la langue mais autre chose. Toutefois, il n'a pas défini cette autre chose.

A côté de ces traducteurs qui n'abordent que le côté linguistique de la traduction, d'autres chercheurs ont étudié la traduction en se basant sur le texte.

Pour Maurice Pergnier, un message puise son sens dans une situation précise. Les critères servant à juger la fidélité en traduction se trouvent dans cette situation et sont déterminés en fonction des destinataires (Pour être fidèle, le traducteur doit penser au destinataire de sa traduction).

Le traducteur biblique, J.C.Margot pense que la traduction est fidèle si son lecteur réagit de la même manière que le lecteur du texte original. Fidélité implique surmonter les difficultés de la langue de départ et fidélité à la langue et la culture d'arrivée.

J.R.Ladlmiral, parlant de la fidélité : dit que « Toute théorie de la traduction est confrontée au vieux problème du MEME et de L'AUTRE : à strictement parler, le texte cible n'est pas le MEME que le texte original, mais il n'est pas tout à fait un AUTRE ».

Parlant toujours du « MEME » et de « L'AUTRE », Georges Steiner assimile le processus de la traduction a un « parcours herméneutique », qui commence par un élan de confiance permettant d'aller vers l'autre afin d'essayer d'établir une cohérence entre mondes isolés, puis vient la phase de pénétration du texte pour une plus profonde compréhension, ensuite le traducteur incorpore la langue cible ce qu'il a compris afin de préparer une mise en forme et enfin, il restitue ce qu'il a incorporé dans la langue Cible, en investissant l'Autre pour l'habiter.

Nous remarquons que les traducteurs s'attachent de moins en moins à l'aspect purement linguistique des textes à traduire. Ils prennent en considération d'autres éléments qui entrent en jeu dans la « construction » du texte source, et qui doivent trouver leur place dans le texte cible.

Ces éléments ont été très bien mis en lumière par l'équipe de Paris de l'ESIT, dans leur théorie interprétative de la traduction ou théorie du sens.

La théorie du sens affirme que la traduction est toujours possible pourvu qu'elle ne porte pas sur la langue mais sur le contenu des discours ou des textes. Les adeptes de cette théorie conseille aux traducteurs de : « ne pas chercher à « traduire », mais de dire ce qu'ils (les traducteurs) comprennent. Pour comprendre correctement, il faut penser à la qualité en laquelle s'exprime l'orateur, penser aux interlocuteurs auxquels il s'adresse, aux circonstances dans lesquelles il parle...  ». La théorie du sens définit des unités du sens auxquelles le traducteur doit être fidèle. Une unité du sens peut être une simple onomatopée comme elle peut nécessiter tout un paragraphe pour s'éclaircir. Sa formation est fonction de plusieurs paramètres : contexte verbal, contexte cognitif, situation... .

Le traducteur doit se rendre compte de tous ses paramètres afin de bien comprendre et, donc, de bien rendre.

L'Ecole de Paris prône la fidélité au sens et rien que le sens. Bien que cette théorie ait fait appel à plusieurs disciplines pour se bâtir, on lui reproche néanmoins de ne pas accorder assez d'importance aux mots qui sont, qu'on le veuille ou non, les matériaux principaux dont dispose le traducteur (P..Newmark).


Conclusion

Après ce défilement, qui n'est, certes, pas exhaustif, des différentes conceptions de la notion de fidélité en traduction, la question se pose toujours: qu'est-ce que la fidélité en traduction?

Tout le monde est d'accord contre la littéralité, d'une part — et contre la liberté avec tous ses moyens, d'autre part. Car, on ne cesse de le répéter, les traductions, comme les femmes, pour être parfaites, doivent être à la fois fidèles et belles.

C'est un idéal qui est loin d'être atteint et qui laisse les traducteurs perplexes.


Que faire?

 Doit-on rendre la langue, la grammaire, le style?

 Doit-on « importer » le texte-source dans la langue et la culture du lecteur?

 Doit-on « exporter » le lecteur vers la langue et la culture de l'auteur?

 Ou bien doit-on s'efforcer d'assembler tous les processus différents et en faire un seul?


J'invite l'ensemble des traducteurs et traductologues à me donner la réponse.

En attendant, je continue de traduire à la manière qui me semble « fidèle ». Cette manière consiste à rendre le sens sans se détacher totalement des aspects linguistiques du texte source: les termes de spécialités, et même d'ordre général, la terminologie, la ponctuation — sauf usage différent dans la langue d'arrivée — et le style doivent, chacun, réapparaître dans le texte-cible, i.e. la traduction. En outre, la traduction doit être aussi lisible que l'original sinon, comme s'est interrogée C. Durieux: « à quoi servirait-elle si elle n'était pas lue? ».